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Il y a 70 ans,

« LA FUSILLADE DE LA CHASSAING »

(7 mars 1951)


Il y a 70 ans, dès fin janvier 1951, commence à la Martinique un mouvement de grève qui ébranle une fois de plus l’autorité du tristement célèbre préfet Pierre TROUILLÉ arrivé à la Martinique en 1947.

Il a déjà essuyé depuis son arrivée au pays de nombreuses grèves et a toujours riposté par l’action et la brutalité des forces de l’ordre.

L’année 1948 est d’ailleurs marquée par des grèves, celle de mars qui a entrainé l’assassinat des frères André et Henri JACQUES ainsi que de Mathurin DALIN lors de  « la tuerie du Carbet », et celle de septembre avec le meurtre du propriétaire terrien Guy DE FABRIQUE par des ouvriers agricoles plus connue comme « l’Affaire des 16 de Basse-Pointe ».

En mars 1950, une longue grève a lieu dans le Nord Atlantique et est aussi marquée par la présence des forces de l’ordre et par des arrestations d’ouvriers.

Pierre TROUILLÉ, surnommé « le sanglant », est rapidement muté et remplacé en août 1951 par Christian LAIGRET, 2ème préfet de Martinique. Mais avant son départ, il doit gérer une nouvelle grève qui prend très rapidement de l’ampleur.  

Dès janvier 1951, les grèves se multiplient : d’abord au François et au Robert puis avec les dockers sur le port. En février, un grand mouvement de revalorisation des salaires est enclenché.

La grève est particulièrement dure puisqu’elle est suivie par plus de 20 000 ouvriers agricoles qui réclament 1300 francs pour la tâche de 8 heures (la tache désigne la quantité de travail qu’est censé fournir un ouvrier moyen en une journée. La tâche est une forme de salaire au rendement, « aux pièces ») soit 650 francs pour l’amarreuse et la même somme pour le coupeur. Les patrons refusent et font pression sur les ouvriers mais la grève se durcit et s’étend : Lamentin, Basse-Pointe, Rivière-Salée…. À Basse-Pointe, les CRS quadrillent la commune tandis qu’à Rivière-Salée, un gréviste est assommé par un gendarme. 19 ouvriers sont emprisonnés. La colère monte.

En mars 1951, la grève ne s’arrête pas. Les ouvriers, confortés par un décret du gouvernement français qui augmente le salaire de base de 25%, ne lâchent pas l’affaire. Ils sont des milliers dans la zone du centre (Lamentin, Ducos, Saint Esprit, Rivière Salée) et pratiquent la grève marchante en se déplaçant en grands groupes.

Le 7 mars 1951, une centaine d’ouvriers grévistes décident de marcher vers la mairie de Ducos. Vers 15h, une centaine de gendarmes et de CRS attaquent les grévistes près de l’habitation la Chassaing. Ils les dispersent sans aucune sommation en utilisant des gaz lacrymogènes et en tirant à balles réelles.

La fusillade de la Chassaing se conclut par des blessés et des détenus : Raymond GEORGES est blessé par balles, Émilie et Atéria AMANT par brûlures, Charlemagne FRANÇOIS et Tertullien MANÉE avec des coups de crosses de fusils.

23 ouvriers sont emprisonnés au Fort Saint-Louis à Fort-de-France puis jugés dès le 12 mars pour « entrave à la liberté du travail ». 14 d’entre eux sont condamnés dont 8 à des peines de prison ferme.

La répression et la fusillade de la Chassaing démobilisent les ouvriers qui sont de plus en plus isolés. La préfecture met alors en place une commission économique et sociale et la CGT accepte de discuter.

Le 8 avril 1961, la commission accepte un salaire de 1100 francs donc inférieur aux revendications des grévistes.

La fusillade de la Chassaing, n’ayant pas provoqué de morts, a tendance à être oubliée dans la longue série de grèves durement réprimées par les représentants de l’État à la Martinique. Elle est pourtant symbolique de la persistance, malgré les lourdes conséquences, des revendications de populations qui vivent dans des situations extrêmement difficiles.

L’année 1951 est aussi celle des élections législatives au mois de juin où Aimé CESAIRE et Léopold BISSOL sont à nouveau élus députés pour le parti communiste qui conserve alors ses deux sièges. Le troisième revient au socialiste Emmanuel VERY. Les députés sont élus, entre autres,  sur les promesses de mettre fin à la misère et au colonialisme.

Les dures conditions de vie des ouvriers ont continué à provoquer des grèves récurrentes en février-mars des années suivantes : en 1952 (obtention d’une convention collective, en 1954 (arrestation et emprisonnement de Sévère CERLAND, dirigeant communiste), 1955 : grève au Nord Caraïbe… .

Les exemples sont encore nombreux et les exactions des forces de l’ordre ont ainsi provoqué la mort de plus d’une dizaine de Martiniquais-es entre 1948 et 1974.

Nadine GUIOSE-LUILET


Bibliographie, sitographie

Marie-Hélène LÉOTIN, Habiter le monde. Martinique 1946-2006, Ibis Rouge Éditions 2008

Armand NICOLAS, Histoire de la Martinique, Tome 3, L’Harmattan 1998

https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/aime-cesaire/biographie.asp

http://www.ecosociosystemes.fr/pou%20sonje.pdf

https://it-it.facebook.com/louismaugee/photos/sonj%C3%A9mars-1951-les-luttes-et-la-fusillade-de-la-chassaing-tout-au-long-de-lhisto/677290765813002

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