Les événements de Pointe-à-Pitre du 26 au 27 mai 1967 : revendications et mouvements autonomistes contre forces de répression.
Le contexte des années 60, en Guadeloupe est très difficile, le département connaît une crise de l’agriculture avec la fin de l’économie coloniale d’habitation. A cela s’ajoute un développement accéléré de l’urbanisation.
Un front d’opinion autonomiste très diversifié et organisé se manifeste et doit faire face à la volonté du gouvernement gaulliste de mettre à mal les mouvements autonomistes (Ordonnance du 15 octobre 1960 : mesure visant à réduire les capacités d’action des partisans de l’autonomie dans les DOM, abrogée par la loi du 17 novembre 1972). C’est certainement la mission qui est confiée au nouveau préfet Pierre Bolotte (ancien directeur de cabinet du préfet d’Alger), en poste en Guadeloupe depuis 1965.
Il faudrait ajouter à l’équation Jacques Foccart, le fils d’une béké guadeloupéenne de Gourbeyre, Elmire de Courtemanche de La Clémandière, et d’un planteur de bananes d’origine alsacienne, Guillaume Koch-Foccart, ancien maire de cette même ville de Gourbeyre. Foccart est l’homme de confiance de De Gaulle, proche des planteurs, travailleur de l’ombre à la réputation sulfureuse.
La volonté du pouvoir gaulliste d’éradiquer les velléités autonomistes dans les départements d’outre-mer explique-t-elle la violence des répressions ?
Une grève sévit dans le bâtiment depuis le 24 mai, les ouvriers réclament 2% d’augmentation et l’alignement des droits sociaux sur ceux de l’hexagone. Les négociations organisées à Pointe-à-Pitre bloquent. Le 26 : Les patrons quittent les lieux, escortés par les gendarmes. Un syndicaliste rapporte une parole qu’aurait prononcée le chef de la délégation patronale, Brizzard : « Lè neg ké fin yo ké ay twavay ! » «Quand les nègres auront faim, ils reprendront bien le travail. » , ce qui met en émoi la foule assemblée sur la place de la Victoire.
La situation s’envenime, les jeunes et les ouvriers présents sur les lieux affrontent les forces de l’ordre (jets de pierres, de conques de lambi et de bouteilles en verre). Jacques Nestor (membre du Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe, GONG) est atteint d’une balle ainsi que Georges Zadigue-Gougougnan (16 ans) et Ary Pincemail. Les jeunes attaquent alors deux armureries y prennent des armes et des munitions.
Les PUMA (gendarmerie d’intervention « képis rouges ») arrivés pour encadrer les événements de Basse-Terre et qui s’apprêtaient à rembarquer sont rappelés par le préfet pour appuyer les CRS. Il s’ensuit une après-midi et une nuit de rafles, de tirs sur les passants jusqu’au matin du 27.
Le bilan officiel est de 8 morts. En 1985, Georges Lemoine, secrétaire d’Etat aux DOM-TOM, lâche le chiffre de 87 morts.
Christiane Taubira, ancienne Garde des Sceaux, a pour sa part évoqué 100 morts. Certains parlent du double.
Le caractère imprécis de ce bilan, dans un département français, en dit long sur la situation qui pouvait y régner à cette époque.
Le 30 mai, le patronat est contraint d’accorder une augmentation de 25 % des salaires à des ouvriers qui ne demandaient que 2 %.
Des centaines de Guadeloupéens sont arrêtés. 10 seront immédiatement condamnés à des peines de prison ferme. 70 autres feront l’objet de poursuites.
En Juin, les principaux leaders du GONG sont incarcérés. Le préfet, le procureur et J. Foccart montrent un certain acharnement à poursuivre les membres du GONG : 19 d’entre-eux sont traduits devant la cour de sûreté de l’Etat à Paris en février 1968. Ils sont accusés d’avoir «entrepris de porter atteinte à l’intégrité du territoire national en se livrant à des actes de propagande, ayant consisté à participer à la rédaction et à la diffusion d’écrits tendant à séparer la Guadeloupe de la France»
C’est un procès politisé avec les témoignages d’ Aimé Césaire, représentant la Ligue des droits de l’homme, Jean-Paul Sartre et Paul Valentino (ex PC devenu député UD Ve).
Le verdict tombe le 1er mars 1968 : 13 acquittements, 6 condamnations à des peines avec sursis. Ils sont amnistiés le 30 juin 1969.
En avril 1968, s’ouvre le procès des « émeutiers » au tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre. Des 44 inculpés du début, ils ne sont plus que 25 détenus dans le box, à l’ouverture de l’audience : plusieurs enseignants, un étudiant et deux lycéens, des professions intermédiaires, des ouvriers spécialisés et des manœuvres, des journaliers ; quatre mineurs, des pères de famille, des célibataires; une moyenne d’âge de 28 ans, uniquement des hommes. Les chefs d’accusation sont lourds : «Incitation à l’émeute ou participation à attroupement armé, port d’armes, rébellion à agent de la force publique, coups et blessures volontaires, incendies, vols.»
Le procès connaît un renversement spectaculaire. La centaine de témoins appelés par la défense, dont certains ont été blessés par balles, témoignent à la barre de la violence et de l’aveuglement des tirs contre la population civile. Toute l’accusation repose sur la
situation extrême dans laquelle se seraient retrouvés les CRS, contraints de tirer pour se dégager des salves de projectiles des manifestants.
Craignant les questions pressantes et précises des avocats, comme les contradictions des témoins de l’accusation sur les horaires et l’évaluation des faits, le commissaire principal Canalès décide de ne pas se présenter à la barre. C’est lui qui a ordonné l’ouverture du feu sur la place de la Victoire dans l’après-midi du vendredi 26 mai 1967. Le président du tribunal délivre un mandat d’amener que la police locale refuse d’exécuter. Constatant la défaillance de l’accusation, la défense demande la mise en liberté de tous les emprisonnés. Le tribunal rend alors un verdict d’apaisement. Tous les inculpés, à l’exception des détenus pour vols, sont libérés. Il ne sera retenu que des peines de prison avec sursis pour les militants politiques.
Qui seraient donc les responsables de cette tragédie ? S’agirait-il du commissaire Canalès, du préfet Bollotte, de Pierre Billotte, ministre de l’Outre-Mer, de Christian Fouchet, ministre de l’intérieur, de Pierre Messmer, ministre des Armées, et surtout de Jacques Foccart, alors secrétaire de l’Élysée aux Affaires africaines et malgaches ?
Personne n’a jamais osé accuser le premier ministre, Georges Pompidou, ni De Gaulle, alors Chef de l’Etat, qui a certainement dû être informé de ce qui se passait en Guadeloupe et probablement consulté sur les mesures à prendre.
Pierre Bollotte, est prudemment rapatrié le 12 juillet 1967 et affecté, le temps que les esprits se calment, à un poste discret. Après avoir poursuivi sa carrière de préfet territorial dans l’hexagone, il a été nommé à la Cour des Comptes en 1982, tout en menant une carrière politique dans le 16e arrondissement de Paris, dont il a été maire-adjoint RPR.
Les séquelles de cette sanglante répression, dans la mémoire collective guadeloupéenne, sont d’autant plus vivaces que le massacre de mai 1967 a toujours été minimisé, sinon occulté dans l’histoire de la Cinquième République.
Ces événements sont à placer dans la lignée de ceux qui sont tristement ancrés dans les mémoires de la Martinique en décembre 1959 et de la Guyane en juin 1962.
Un collectif d’associations dénommé « Kolèktif Doubout Pou Mé 67 » lance en 2017, à l’occasion de la commémoration des 50 ans de mai 67, un appel « pour la reconnaissance de ce crime colonial, l’ouverture totale des Archives, la vérité et la justice pour les victimes et leurs familles, les réparations liées aux préjudices ; et la condamnation de l’État responsable. »
Jean-Luc FARANT
Bibliographie :
GUILLERM François-Xavier et BONNOT Xavier-Marie Le sang des nègres : mai 67 à la Guadeloupe, le dernier massacre de la République, Broché, 2015.
GAMA Raymond et SAINTON Jean-Pierre, Mé 67 : mémoire d’un événement (2nde édition), Broché, 2011.
SAINTON Jean-Pierre, L’année 1967 : les évènements de Pointe-à-Pitre des 26 et 27 mai, conférence [en ligne], 2017. http://www.manioc.org/fichiers/V17131
STORA Benjamin, et al. Commission d’information et de recherche historique sur les évènements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe. Rapport à madame la Ministre des Outre-mer, [en ligne], 30 octobre 2016. https://fr.calameo.com/read/000886379720261dabe09
Archives départementales de la Guadeloupe, Les émeutes de mai 1967 : du malaise social aux événements tragiques de mai, [en ligne] Exposition virtuelle, 23 mai 2017. http://www.archivesguadeloupe.fr/%C3%A9meutes-mai-1967-du-malaise-social-aux-%C3%A9v%C3%A9nements-tragiques-mai
Filmographie :
« Mé 67 », Massacre de Mai 67 en Guadeloupe, Combat Ouvrier, réalisatrice Frédérique Menant. https://youtu.be/J1RcVwu7z3k
Mai 67, ne tirez pas sur les enfants de la République, documentaire écrit et réalisé par Mike Horn, 2017.
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