Article retour de lecture du livre Loin de l’amer de Jocelyne Béroard.
Écrit par Malik Duranty
Artiste-Auteur et Sociologue
« Loin de l’amer » le titre du livre de Jocelyne Béroard aux éditions « Le cherche midi » paru en mars 2022, est un livre qui témoigne d’une époque avec originalité et pertinence. Témoigner d’une époque contemporaine dont parfois l’obscurité et l’opacité méritent de se rappeler à la présence du Soleil en ce qu’il représente pour des peuplades comme celles de la Caraïbe.
C’est ainsi que le titre à lui seul vous interpelle.
Car, en ce l’entendant dire, l’on pourrait entendre « loin de la mer ». Une expression qui nous laisserait perplexe. Car, « loin de la mer » se pourrait d’exprimer la nostalgie d’être loin du pays-île cerné et façonné par la mer. Or, à la lecture du livre, l’on comprend que Kassav’ enjamba les mers pour rencontrer en bien des lieux, des peuplades dont certaines possèdent des parts originelles de notre culture d’ici, et d’autres en possèdent les facteurs communs, les ressemblances de notre caribéanité et son historicité d’effet post-coloniale. Une ode à la liberté. De Kassav’ libéré de l’amer qui mène en kadans et poétique créole, à une réappropriation de nous-mêmes en corps libres, volant léger comme graine de fromager.
Pourtant, le titre « Loin de l’amer » est si pertinent. Car à la lecture du parcours de Jocelyne et de Kassav’, ce cheminement, l’on comprend où se focalisent le regard et l’attention sur le positif. Lui qui finit par influer la vocation et l’initiative prise à bras le corps par Jocelyne et Kassav’. Nous révéler au monde par l’alchimie de notre magie.
Ce récit si fluide, est un témoignage vis-à-vis d’une période historique si dense des révolutions des consciences au cœur des mouvements de décolonisation des sociétés du sud, et de modernisation des sociétés du nord. Ces dernières assimilant celles du sud qui tentent de trouver leur destination par elles-mêmes et pour elles-mêmes. Là où, il y avait un défi non des moindres à relever dans un monde mondialisé par la bestialité et la profitation. Là, il n’était pas question de l’ignorer du passé à l’actuel.
Cependant, ne négligeons pas la sincérité du propos de Jocelyne dans ce témoignage. Lui qui passe sans cesse de la dimension intime (avec la réserve qu’il convient d’avoir) à la dimension collective de l’échelle du groupe à celle de la communauté antillaise et de l’humanité. En particulier, lorsqu’elle nous offre de prendre la mesure des relations familiales, de sa fratrie à la kouzinad. L’importance de ce cercle de socialisation primaire et leurs liens de solidarité qui en découlent tout au long de la vie. Cela me rappelle que souvent des personnalités comme celle de Jocelyne, ne sont pas seules à contribuer. Car, en parallèle (peut-être de façon moins visible) c’est toute une famille qui fournit des contributeurs de qualité inspirés à la construction culturelle de leur société. C’est aussi par son témoignage que l’on prend la mesure du rôle indubitable de ces parents qui ont su se déplacer avec elle, et révéler à eux-mêmes des intentions enfouies malgré tout.
J’avoue avoir au départ prémédité sur la dimension poétique de son écriture en prose.
Or, le style d’écriture plutôt journalistique et factuel a décuplé ma curiosité et l’accessibilité du témoignage. Ce dernier comportant peu d’extrapolations et d’extravagances. D’où, sa fluidité et sa parole sans concession, sans jugement. Ce qui nous amène a l’introspection. Ceci dit, les citations systématiques en poétique créole à l’ouverture de chaque partie organisant ce livre, est d’une force indéniable dans la pertinence de l’art de Kassav’ et de Jocelyne, montrant, voir démontrant, la valeur de la poésie et de la musique qui transporte cette langue et ses cultures dans nos sociétés.
C’est ainsi pour moi, un livre qui devrait être lu et transmis aux générations actuelles pour une prise de conscience de l’impérieuse nécessité de continuité de la cause et des missions propres à chaque génération. Peu importe ce qu’en disent certains, Kassav’ a joué son rôle en toute humilité. Cela me permettant d’affirmer que nous devrions nous, génération actuelle, moins hériter des querelles des générations précédentes que de l’authenticité des créations-actions de certains prouvant leurs pertinences aujourd’hui. Ceux et celles qu’elle n’omet pas de citer avec amitiés et affection. D’autant que dans l’art et la culture de ce temps, il est question de nourrir la présence du créole dans le référentiel de notre vie en commun sans honte aucune vis-à-vis de ce que nos anciens nous ont laissé. Il est clairement pertinent de nous réconcilier avec notre héritage en nous l’appropriant dans l’actuel.
Quel est le rôle dont nous faisons allusion ici ?
Ce rôle fut pour nous de conscientiser une population aux réalités cachées d’un monde en mutation, où les puissants dominants cherchaient par tout moyen, à conserver par métamorphose, leurs forces manipulatrices et assimilationnistes sur une part de l’humanité. Mais ce rôle fut aussi de promouvoir la force d’une culture et d’une langue nées de la résistance des anciens, ainsi que la force de la joie et de la gaité se faisant ciment d’un lien et d’une cohésion sociale par le biais culturel. De l’histoire personnelle et familiale de Jocelyne, j’ai mieux encore appréhendé ce qui s’imposait aux générations précédentes qui en sa classe dite bourgeoise, ont développé des stratégies d’humanisation, tendant vers une assimilation volontaire à la société du dominant.
Cela devrait rappeler à certains, la force de l’art et la culture en sa dimension populaire, lorsqu’ils participent à la construction de représentations collectives, si importantes au vivre-ensemble. Voilà deux domaines refusant de subir la société et constituant un lieu vecteur d’inspiration à l’évolution, par la critique et l’initiative fondées sur l’intention du don que représente la création. Ainsi prendre la mesure de la marche de Jenbéwa et Kassav’ par la bienveillance qui la caractérise, nous instruit sur la volonté de nous aimer et donc de nous émanciper « Loin de l’amer ». Même si, cet amer était dans la bouche de leurs aînés. Eux n’ont pu nier le courage de la génération de leurs enfants qui est parti en quête d’eux-mêmes malgré tout. Une fracture pour soigner une brisure et refaire l’unité de l’ossature.
C’est en cela que le groupe Kassav’ est à considérer comme la métaphore qu’il constitue pour le vivre-ensemble. Ce que nous pouvons être ensemble : une inspiration pour l’humanité « Loin de l’amer ».
Alors, à la fin du livre, j’ai envie de dire à Jocelyne que le patrimoine de Kassav’, son anthologie est un conservatoire évolué qui nous rappelle franchement que sans notre culture, il n’y aura pas d’identité qui tienne. Alors, chanter et danser Kassav’ sera un devoir de mémoire qui nous tiendra ensemble, Guadeloupe, Martinique, Caraïbe, Monde, « loin de l’amer ». Car, de la Kassav’ faut-il purger l’amer empoisonnant pour déguster le fwi du graj, ce nannan de cette racine séculaire.
Mi tjè-mwen …
Écrit par Malik Duranty
Artiste-Auteur et Sociologue
No responses yet